Christina Tsiarta
Responsable des services de conseil en matière de développement durable, d'ESG et de changement climatique chez Kreston ITH, président du groupe consultatif mondial sur l'ESG de Kreston
Le paquet Omnibus de l’UE sur l’ESG : implications actuelles et ambitions futures
October 15, 2025
Le paquet Omnibus de l’UE sur l’ESG représente un mouvement stratégique visant à rationaliser le cadre réglementaire de l’UE, en réduisant les charges administratives et en stimulant la compétitivité à un moment critique pour la croissance durable. En alignant les efforts de réforme sur les tendances mondiales et les objectifs climatiques, l’initiative vise à renforcer l’investissement, à encourager l’innovation et à positionner l’Europe en tant que leader des marchés responsables. Son succès pourrait servir de modèle pour les normes internationales, attirer les investissements étrangers et façonner les futures pratiques mondiales en matière de finance verte et de développement durable.
Pourquoi la Commission européenne a-t-elle proposé le paquet Omnibus ?
La proposition de la Commission européenne concernant le paquet Omnibus représente un effort stratégique pour rationaliser un paysage réglementaire complexe qui est devenu de plus en plus difficile pour les entreprises, les consommateurs et les décideurs politiques. Cette initiative est motivée par la nécessité de faire face aux charges administratives croissantes, d’améliorer l’efficacité des réglementations de l’UE et de favoriser un environnement plus compétitif propice à une croissance durable.
Plusieurs motivations sous-tendent cette démarche. Tout d’abord, l’UE est confrontée à une concurrence mondiale permanente, ce qui nécessite une souplesse réglementaire pour que les entreprises européennes puissent innover et se développer sans être entravées par une bureaucratie législative excessive. La Commission européenne s’est elle-même engagée à réduire les charges administratives d’au moins 25 %, et jusqu’à 35 % pour les PME, afin d’améliorer l’environnement des entreprises (Commission européenne, “Better regulation”).
Deuxièmement, l’évolution des agendas en matière de climat et de durabilité, illustrée par le Green Deal européen, exige un cadre plus cohérent et simplifié pour mobiliser les investissements, améliorer la conformité et atteindre des objectifs climatiques ambitieux pour 2030 et au-delà. Les objectifs généraux du Green Deal sont décrits dans le document stratégique de la Commission européenne.
Les conditions actuelles du marché amplifient encore la nécessité d’une réforme. Les entreprises sont aux prises avec des règles fragmentées qui se chevauchent souvent et évoluent rapidement, ce qui entraîne une augmentation des coûts, une réduction de la transparence et une diminution de l’agilité. La Cour des comptes européenne a souligné que la fragmentation réglementaire existante entravait l’efficacité des politiques de développement durable, appelant à une législation européenne rationalisée et cohérente (“Rapport spécial 10/2018 : Une meilleure réglementation, une réglementation plus efficace” ).
La complexité réglementaire a également un impact sur l’attractivité internationale, décourageant potentiellement les investissements étrangers et limitant la capacité de l’UE à jouer un rôle de premier plan dans les secteurs mondiaux des technologies propres et de la finance durable. La Banque européenne d’investissement souligne que l’incertitude réglementaire peut freiner les investissements verts, qui sont essentiels pour atteindre les objectifs climatiques.
L’importance du paquet Omnibus : Qui gagne et qui risque
Révisions dans le cadre du paquet Omnibus
Le paquet Omnibus propose des révisions de quatre textes législatifs clés liés à l’ESG : la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD), la directive sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises (CSDDD), le mécanisme d’ajustement transfrontalier pour le carbone (CBAM) et le règlement de l’UE sur la taxonomie.
En ce qui concerne le CSRD, le paquet Omnibus propose un seuil d’employés plus élevé pour les entreprises concernées. Selon les révisions proposées, les entreprises comptant plus de 1 000 employés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros ou dont le bilan est supérieur à 25 millions d’euros sont toujours tenues de présenter une déclaration. Le seuil d’employés était auparavant de 250 employés. Le seuil de chiffre d’affaires est également relevé pour les sociétés mères non européennes, passant de plus de 150 millions d’euros à plus de 450 millions d’euros. Les points de données de l’ESRS sont simplifiés, aucune norme sectorielle ne sera élaborée et seule une assurance limitée sera exigée (au lieu de limitée et raisonnable). En outre, conformément à la proposition “Stop-the-Clock”, qui a été adoptée par la Commission européenne, les grandes organisations non cotées et les petites et moyennes entreprises (PME) cotées voient leur obligation de déclaration reportée de deux ans (de 2025 à 2027 et de 2026 à 2028).
En ce qui concerne la DTSD, le paquet omnibus propose de reporter d’un an et de deux ans les délais de transposition et de mise en conformité, respectivement au 26 juillet 2027 et au 26 juillet 2028. En outre, l’obligation de diligence raisonnable sera limitée aux seuls partenaires commerciaux directs, et l’obligation de mettre fin aux relations commerciales lorsque des impacts négatifs potentiels ou réels graves sont identifiés est supprimée. Les cycles d’examen sont portés à cinq ans et la responsabilité civile au niveau de l’UE est supprimée, laissant la place aux régimes nationaux.
En ce qui concerne la taxonomie européenne, le paquet Omnibus propose de concentrer les indicateurs clés de performance sur les très grandes entreprises uniquement, celles qui emploient plus de 1 000 personnes et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 450 millions d’euros. Les informations à fournir sont également simplifiées et allégées, grâce à des modèles rationalisés et à une exemption de minimis, en vertu de laquelle aucune information ne sera requise pour les activités représentant moins de 10 % du chiffre d’affaires. Les institutions financières pourront également reporter les KPI détaillés au31 décembre 2027.
Victoires potentielles
Ces révisions simplifient les déclarations, alignent les dispositions des différents règlements et réduisent la bureaucratie impliquée, réduisant ainsi le coût, le temps et les efforts nécessaires aux entreprises du champ d’application pour se mettre en conformité. La proposition “Stop-the-Clock” donne également aux entreprises du champ d’application plus de temps pour préparer leurs rapports. On estime que 80 % d’entreprises en moins seront hors du champ d’application avec ces révisions, ce qui supprime une charge administrative et les coûts qui y sont liés pour de nombreuses PME. En outre, l’exigence d’assurance limitée facilite la mise en conformité des entreprises et l’examen par les régulateurs. La mise en œuvre restera également nationale, ce qui nécessite moins de ressources et de temps.
Risques potentiels
Les utilisateurs de ces données (consommateurs, régulateurs, clients, partenaires, investisseurs, médias, public, etc.) seront donc confrontés à un risque plus élevé d’angles morts et à une comparabilité intersectorielle plus difficile, en particulier pour les secteurs à fort impact. Les risques de contrôle augmentent également à mesure que la transparence diminue. Les révisions proposées ont également créé des incertitudes pour les entreprises et un manque de clarté pour le marché. L’exigence d’une assurance limitée uniquement aura potentiellement un impact sur la qualité des données déclarées et réduira le besoin de services d’assurance pertinents, ce qui aura un impact négatif sur les prestataires de services. En outre, les entreprises hors du champ d’application peuvent encore devoir répondre aux questionnaires sur les marchés publics ESG de leur chaîne de valeur, de sorte que ces entreprises devront encore allouer des ressources pour se conformer et pourraient être moins préparées à le faire, ou moins capables d’obtenir un score élevé. La mise en œuvre restant uniquement nationale, il existe également un risque de responsabilité disparate et de normes contradictoires dans l’ensemble de l’UE. Étant donné que la législation des autres régions tend à suivre celle de l’UE, ces révisions peuvent également entraîner un effet domino de révisions de textes législatifs similaires dans d’autres zones géographiques, comme l’Asie-Pacifique, l’Amérique du Nord, etc.
Implications du paquet Omnibus pour l’UE et le marché mondial
L’adoption du paquet Omnibus place l’UE à un moment charnière, en alignant son approche réglementaire sur les tendances internationales plus larges tout en signalant un changement clair vers des politiques plus pragmatiques et plus favorables aux entreprises. Au niveau de l’UE, cette initiative soutient les engagements stratégiques du continent dans le cadre du marché vert européen et ses objectifs de durabilité pour 2030.
En réduisant les charges administratives et en améliorant la clarté de la réglementation, l’UE vise à encourager les investissements durables, à soutenir l’innovation et à maintenir sa compétitivité sur la scène mondiale. Le rapport de la Commission européenne intitulé “La finance durable dans l’UE” souligne l’importance de la clarté réglementaire pour mobiliser les investissements privés dans la finance durable. Sur le plan extérieur, les implications sont tout aussi importantes. Alors que les marchés mondiaux accordent de plus en plus d’importance à la durabilité et aux pratiques commerciales responsables, les efforts déployés par l’UE pour rationaliser et améliorer son cadre réglementaire pourraient servir de modèle à d’autres régions. La récente publication de l’OCDE intitulée “Global Coordinated Approaches to Sustainable Finance” souligne que la convergence réglementaire joue un rôle crucial dans la promotion des flux d’investissement internationaux et des normes communes.
Les pays et les partenaires commerciaux qui alignent leurs politiques sur les objectifs de développement durable peuvent considérer les réformes de l’UE comme une référence à suivre, façonnant ainsi les normes internationales dans les années à venir. La Banque centrale européenne a également souligné que la stabilité et la transparence réglementaires sont essentielles pour favoriser la finance durable au niveau mondial.
En outre, un cadre européen plus rationalisé peut avoir une influence positive sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Le Forum économique mondial souligne que les régions à la pointe des technologies propres et des normes de gouvernance tendent à attirer davantage d’investissements directs étrangers (IDE) et à stimuler l’innovation (Forum économique mondial, “Why integrated and regenerative leadership is vital for the future of global value chains”).
Comment le paquet Omnibus soutient les ambitions futures
Le paquet “Omnibus” ne modifie pas l’objectif juridiquement contraignant de l’UE pour 2030, qui consiste à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à 1990, et n’a pas non plus d’incidence sur d’autres outils clés, tels que le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SCEQE). Les simplifications visent à réduire les formalités administratives et à concentrer les efforts sur les entreprises ayant l’impact le plus important, afin de réduire les coûts et de libérer des capacités de gestion. L’objectif est donc de stimuler la compétitivité de toutes les entreprises de l’UE, d’encourager les investissements durables et de soutenir l’innovation intersectorielle. Le paquet reste donc en vigueur.
Toutefois, les retards qu’elle introduit dans l’établissement des rapports et la portée plus étroite de l’établissement des rapports et de la diligence raisonnable introduisent des risques d’exécution et de suivi pour la réalisation de la trajectoire 2030. En effet, les révisions envoient des signaux de marché qui rendront plus difficile la mobilisation de financements privés et la vérification des progrès. La réduction des données communiquées signifie également que le volume de données ESG de haute qualité utiles à la prise de décision sera nettement inférieur, ce qui affaiblira les signaux de pilotage pour les conseils d’administration, les banques et les autorités de surveillance. En outre, en raison du nombre réduit d’entreprises concernées, moins d’entreprises alloueront du capital, du temps et des ressources humaines à la réalisation des objectifs 2030 et du Green Deal, du moins à court terme. Il y aura également des impacts négatifs sur l’évaluation des risques liés aux menaces climatiques et sur les plans de transition des entreprises. Ainsi, si le paquet Omnibus maintient les ambitions futures, telles que l’objectif 2030 de l’UE, il complique la feuille de route pour atteindre cet objectif. Mais cet objectif reste réalisable.
Les révisions du paquet Omnibus représentent également une opportunité commerciale pour le marché intermédiaire, qui n’entre plus dans le champ d’application de ces textes législatifs. La gestion des questions ESG cesse d’être un exercice fastidieux de mise en conformité pour les PME, mais devient un impératif stratégique et un catalyseur d’activité. Elle est essentielle pour l’accès au marché et la croissance, ainsi que pour le coût du capital et les possibilités de financement des entreprises.
Selon le rapport sur le commerce mondial publié par Thomson Reuters pour 2024, 81 % des personnes interrogées dans le monde considèrent les critères ESG comme importants ou très importants lorsqu’elles choisissent leurs fournisseurs[1]. Le Forum économique mondial a noté qu’en 2024, selon une enquête de KPMG, 45 % des opérations de fusion et d’acquisition ont eu une incidence importante sur l’opération en raison d’une conclusion importante de la diligence raisonnable en matière d’ESG, plus de la moitié d’entre elles ayant fait l’objet d’un “arrêt de l’opération”
Le message est clair. Si vous restez dans le champ d’application de ces textes clés de la législation ESG, la voie de la conformité est désormais plus simple et plus directe pour vous. Mais si vous n’êtes plus dans le champ d’application, continuez à investir dans des plans de transition vers le changement climatique, dans des données ESG de haute qualité pour vos stratégies et vos rapports, et dans la diligence raisonnable de la chaîne d’approvisionnement en matière d’ESG, parce que la compétitivité et la résilience à long terme de votre entreprise en dépendent.
[1] Thomson Reuters Institute, 2024 Global Trade Report, décembre 2024, https://www.thomsonreuters.com/en-us/posts/international-trade-and-supply-chain/supply-chain-resilience/
[2] Forum économique mondial, La responsabilité des entreprises est une question de bon sens financier. Voici pourquoi. Mars 2025, https://www.weforum.org/stories/2025/03/why-esg-is-now-a-financial-imperative/
[3] Université de Cornell, Quantifying firm-level risks from nature deterioration, avril 2025, https://arxiv.org/abs/2501.14391